Nomination au titre de GRAND
CHANCELIER D' HONNEUR
Grand Maître à l'
ACADEMIE DES ARTS de " La Palette Française "
- Mon discours à l'occasion de ma
réception à ce titre
-
- Je ne pense pas qu'une assemblée
aussi avertie que la vôtre s'attende à ce que je
fasse, sur le propos de la peinture, un de ces exposés qui
ont la prétention de définir, de trancher et -
pourquoi pas ? - de conclure, mais qui épuisent davantage
l' auditoire que le sujet.
- Je tiens la peinture pour une chose
difficile .
- Difficile à analyser comme
à faire, car ayant son origine dans un défi - elle
ne peut se réaliser que dans un conflit, celui de l'artiste
avec la résisitance qu'il éprouve.
- Ce défi, le peintre n'est pas le
seul à le ressentir. Il est la définition
même, me semble-t-il, de l'émotion artistique devant
la beauté ressentie. Il est la provocation à
laquelle tout être, s'il est artiste, se croit obligé
de répondre en prenant son pinceau, son burin ou sa plume.
Il est désir d'annexer, tentation de se faire - comme dit
Rimbaud - voleur de feu.
- Il est aussi l' angoisse de l' esprit
devant l' éphémère, le malheur de la
conscience devant la précarité de l' existence, le
besoin d'un monde solide et stable, un monde de
pérennité où transposer les émotions
qui passent et les joies qui meurent.
- Cette provocation, que tout esprit
quelque peu délicat ressent, l' artiste se croit
obligé d'y répondre. Et sa réponse est son
oeuvre. Mais c'est entre ces deux stades que se situe le conflit
et que les résisitances doivent être vaincues.
- Une histoire de l' art,
dépouillée de tous éléments
subjectifs, historiques, se ramènerait sans doute à
celle des résistances qu' à suscité le
simple projet de transposer la beauté sentie, en
beauté formelle, et des moyens par lesquels des
générations d'artistes
- ont cru les avoir vaincues.
- On s' apercevrait ainsi que l' Art, et
la Peinture en particulier, sont une offensive de toujours contre
le démon de la facilité, qu'il n'éxiste pas
de Muse tutélaire, de Talent dont on hérite au
berceau, de Génie qui dispense d'apprendre et de
travailler.
- On s' apercevrait que l' impulsion
intuitive n'appartient qu' au stade de la provocation - et que le
confli, lui, appelle toutes les ressources de l' intelligence, de
la conscience réflèchie, de l' expérience et
du métier.
- A lire les observations que quelques
grands peintres ont crayonnées en marge de leur oeuvre, on
retrouve toujours la même obsession de l' artiste de se
sentir inférieur à la tâche qui le sollicite.
Ceux-là ne croient qu' à l' effort têtu,
à longueur d' existence...
- " Aujourd' hui , nous avons tous du
génie, c' est entendu, mais .. . nous ignorons tout de
notre métier " ...Celui qui parlait ainsi s' appelait
RENOIR.
- Et DEGAS disait : " La peinture n'est
pas une chose difficile quand on ne sait pas, mais quand on sait
... oh alors c'est autre chose ! ... ", proclamait encore :
- " Il faut avoir une haute idée,
non pas de ce qu' on fait, mais de
ce qu ' on pourra faire un jour ,
sans quoi ce n'est plus la peine de travailler... "
- Lorsqu' il faisait cette confidence
à son ami Ernest Rouart, Degas avait 70 ans ...
- Et la reflexion de cet homme qui, depuis
50 ans déjà , maniait ses pinceaux sans
mêmes'imaginer qu'il était DEGAS, me parait
être la plus belle définition qu' on ait
jamais donnée du travail de l' artiste.
- Sans doute, les historiens de l' Art
sont-ils amenés à dresser des bilans, à
discerner des écoles, des vagues . Ils ont raison de le
faire . L' Art en dépit de ses règles
éternelles, a un respect subjectif qui le rattache au
siècle. Et si l' Art de peindre tel que le voulait
Léonard de VINCI, est toujours l' art de peindre il existe
une manière de peindre qui est la conséquence d'une
manière de vivre.
- L' inspiration mystique des peintres du
moyen âge, la découverte de l' homme à partir
du 15éme siècle, la découverte de la nature
pour elle même au 15éme siècle, le goût
de la raison ou de la passion ou de la sensation chez les
classiques, les romantiques ou les modernes, tout celà constitue l' apport de l' esprit
du temps.
- Mais si la peinture qui a
representé le Sacre de Napoléon ou les Demoiselles
des bords de la Seine survit à l' Empire et aux crinolines
, c'est parceque, au delà du sujet et de la conception,
sa peinture est de tous les temps.
- Il n' y a pas de
découverte de la peinture. Il n' y a même pas de
révolution de la peinture. Il n' y a que des
révoltes. Et ces révoltes tendent toujours à
être des résistances vaincues.
- RENOIR ne croyait pas au
progrès en peinture. Il voulait sans doute dire par
là que les gands artistes demeurent, tout entiers,
malgré les nouiveautés et que, comme je le disais
tout à l'heure, le VINCI a tout dit et que,
peut-être, avant lui, les peintres du moyen-âge, les
primitifs des cavernes avaient tout dit.
- mais RENOIR oubliait les
résistances vaincues. A défaut de progrés,
elles ont renouvelé la peinture. Elles ont, si l'on
préfère, renouvelé - non la technique - mais
la vision des choses.
- On s' perçoit alors que
chaque peintre, en s' attaquant à un aspect de la
beauté, ajoute quelque chose à notre perception de
la beauté. Que chaque grand peintre ouvre un monde à
lui, où s'inscrit une victoire sur quelque
résistance vaincue : sur la ligne, si c'est INGRES, sur la
couleur, si c'est CEZANNE, sur la profondeur s' il s' agit des
peintres qui, à la suite de l'architecte
- BRUNELLESCO, ont
découvert la perspective, sur l'harmonie des masses chez
ceux
- qui ont fait prévaloir
la composition dans le plan vertical ...
- Mais lorsque Claude MONET a
ouvert à la peinture le monde infini de la sensation, c'
est un monde infini de résistance qu' il a ouvert, dans
lequel toute la peinture moderne, s' est engouffrée.
- Le monde de la foi qui
fut celui du moyen-âge , le monde de l' esprit qui fut
celui de la Renaissance, semble statique à
côté de ce monde cahoté, instable, infiniment
multiple qui est celui de la sensation.
- Ici la vision et la
conception réagissent l'une sur l'autre, l' oeil qui
analyse et l'esprit qui recompose interviennent tour à
tour, le choc produit se traduit en taches brutales ou bien,
distillé par l'intelligence, se discipline dans la
composition. Rien, en cette matière, n'est jamais fini. La
peinture va d' avatar en avatar, elle subit des mutations
incessantes, elle s' appelle MONET ou MANET, VAN GOGH ou GAUGIN,
CESANNE ou MATISSE, est figurative,
- abstraite, informelle elle
est parfois - comme pour PICASSO - tout celà
successivement .... Elle est toute occupée d' obstacles
à vaincre. De moins en moins , elle est occupée de
Beauté absolue..
- Dans le désarroi
de notre siècle, dans ce décourageant affrontement
d'expériences sans lendemain, une telle constatation est
amère et rassurante.
- Il est amer de comprendre que
l'Art est un conflit sans issue, et que tout défi que l'
artiste relève en amène aussitôt un autre et
un autre...
- Mais il est rassurant d'
maginer que ces résistances patiemment vaincues sont
elles-mêmes des réponses et qu' on ne perd jamais
son temps losqu' on s' applique avec toutes les ressources de la
volonté, à gagner de ces
éphémères batailles.
- L' Art, après
tout, n' aurait plus de sens si l' absolu, un jour, devait
être atteint..
-
- Mesdames,
Messieurs,
-
- Dans cette recherche
têtue qui est le lot de tout artiste, les marques d'
encouragement qu il reçoit de ses pairs sont les plus
exaltantes.
-
- Vous m'avez fait un grand
honneur et une grande joie en m'appelant parmi vous, en me
permettant de participer à vos travaux, en me donnant ainsi
l' occasion de consacrer davantage encore de mes efforts au
service de cette douloureuse ambition que représente tout
ART sérieusement assumé.
-
- Je vous en exprime ma plus
profonde gratitude.
-
- Soyez persuadés que j'
apporterai à nos travaux communs une large part de l'
attention que je consacre, depuis longtemps à cette chose
si attachante et si ingrate, si fantasque et si sérieuse,
- qu' est la peinture.
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- Juillet 1969
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