L'oie.

 

Lentement, ventre à terre, l'oie défile,

exhalant sa mauvaise humeur.

 

Elle ne s'amuse jamais. Les jeux de l'oie sont

une invention de l'homme. Et l'oison lui-même est

triste et dolent comme s'il se sentait déjà mis au pas

et de corvée pour la Capitole.

 

L'oie naît morose et grandit dans la rogne. Elle

s'efforce à l'impassibilité du misanthrope, qui se refuse

à participer à ce monde sans foi ni loi et qui sait la

vanité de tout et comment tout finit. Mas, avec sa

queue, elle dit toujours non.

 

Quand les oies patrouillent, en files rigoureuses,

chacune décompose le mouvement d'ensemble. On dirait

la pellicule d'un film qui, si on le projetait, restituerait

l'image d'une seule oie, étonnamment souple. Mais ce

défilé est sans refrain. On ne chante pas quand on est

hépatique.

 

De temps à autre, une vraie colère saisit l'une

d'elles. Elle raidit son cou. Ce serpent siffle. De ce qui ne paraissait qu'une outre se déploient des ailes superbes

en drapeau. Elle se fait raide comme un mât. Le drapeau

claque. Elle a l'oeil ardent, le jarret tendu. Elle est magnifique,

elle ressemble à son mâle déchaîné. D'outre, elle est

passée jars.

 

Qui la ferait s'enfuir celle-là ? Pour s'enfuir,

il faudrait accélérer le pas et elle à horreur de ça.

L'oie blanche n'est pas une coureuse. La cendrée

non plus.

 

Puis elle se calme. Elle lève l'oeil au ciel

pour prendre à témoin cette escadrille qui passe

si haut, en lente formation triangulaire.

 

Mais qu'attendre, sinon le froid qu'ils annoncent,

de ces canards sauvages qui se prennent pour des

enfants du bon Dieu.


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